Valentin, je ne crois pas que nous nous connaissions avant les événements du 13 novembre 2015, bien que votre visage me soit familier.
Vous représentiez la jeunesse de notre barreau de près de 30 000 membres, bientôt, et qui en accueille presque 2000 par ans, soit chaque année, la taille du barreau de Marseille, dans sa totalité.
De ce que j'ai pu lire sur vous, surtout de vos amis sur les réseaux sociaux, vous étiez, non seulement jeune et talentueux, mais en plus, animé de cet esprit curieux et parfois impertinent qui fait les plus grands avocats.
Le serment d'avocat que vous avez prêté il y a un peu plus d'un an nous parle de dignité, de conscience, d'indépendance de probité et d'humanité.
Mon Dieu, que vous les avez toutes incarnées ces valeurs, ce 13 novembre 2015 au Bataclan, vous qui avez fait rempart de votre corps pour sauver votre compagne.
Le 24 septembre 2014, ce n'est pas moi qui ai eu l'honneur et le privilège de vous accueillir lors de votre prestation de serment.
Reprenant mon agenda je remarque que j'étais à l'Ordre à la même heure pour une commission de déontologie générale et que, nous avons dû nous croiser, alors qu'avec votre nœud papillon blanc, habité de la fierté de devenir avocat, vous vous dirigiez vers la bibliothèque de l'ordre pour entendre le représentant du bâtonnier vous dire comme notre profession est une des plus belles, des plus gratifiantes mais aussi, une de celle qui exige le plus de responsabilité.
Puisque nos regards ont forcément dû se croiser, je vais te tutoyer dorénavant Valentin, et pas seulement parce que tu as l'âge de mes enfants, mais parce que tu étais l'un des nôtres : un confrère.
Tu le sais, nous avocats, nous n'avons pas le droit à l'erreur.
Nous sommes avocats, pendant 10, 20, 30, 40 ou 50 ans, à tous les moments de notre vie professionnelle ou personnelle.
C'est notre déontologie, qui ressemble étrangement à la démocratie qui se doit d'être partout et tout le temps sinon nous n'existons pas.
Alors bien sûr, ce 13 novembre au Bataclan tu n'étais pas dans l'exercice de la profession, et tu aurais pu faire montre d'un petit peu moins de caractère qu'exigeait notre serment.
Cela n'a pas été ton choix, et tu as préféré, en toute conscience et indépendance être digne, honnête et humain.
Tu es le seul, d'entre nous avocats, à être tombé sous le coup de ces assassins shootés à l'idéologie et à certaines drogues comme leurs ancêtres étymologiques des temps anciens.
Ce massacre aveugle, destiné à nous atteindre dans tout ce que nous sommes, nous hante, et nous hantera pendant de nombreux mois, et ton visage radieux, confiant, et plein de certitude en un avenir qui se voulait radieux nous portera.
Le bâtonnier Pierre Olivier Sur nous l'a dit, ce qui le hante lui, depuis tant de jours c'est que tu avais ta robe d'avocat, avec toi, dans ta serviette, ce soir-là car tu devais la porter après le week-end pour exercer notre métier.
Nous le savons tous, celle-ci n'est pas en kevlar et n’a pu donc te protéger contre l'innommable, ce n’est pas sa fonction.
Non, notre robe est dans un tissu simple, noir, identique depuis plusieurs siècles, elle est le symbole de la solennité qui est celle de notre métier, de nos missions, et de la manière dont nous les exerçons.
Elle témoigne de notre engagement auprès de tous ceux qui sont accusés injustement, ou justement, ce n'est pas notre propos nous sommes des défenseurs.
Daniel Soulez Larivière l’écrivait fort justement, nous sommes à la fois, et selon des moments, de l’huile dans le moteur ou du sable dans l'engrenage.
Comme l'ont souligné tes amis, le paradoxe, c'est que tes assassins, tu les aurais défendus, dans une démocratie qui se doit de respecter aussi les libertés, avec force et conviction.
Valentin Ribet, aucun de nous n’oubliera jamais qui tu étais, ce que tu représentais et le sens de ton sacrifice pour que vive quelqu'un d'autre.
Tant de vies volées à tant de jeunes femmes et de jeunes hommes beaux, lumineux, désirant croquer la vie, tant de destins brisés, de personnes mutilées psychologiquement et physiquement qui ne guériront jamais, ou alors très tard, tant de haines aveugles contre ce que nous sommes, intrinsèquement et que nous ne céderons jamais, tant de chaos, d'absurdité et d’incompréhension et, comme une lueur d'espoir, ta robe d'avocat parmi les scellés.