C’est avec une infinie tristesse que je viens d'apprendre le décès de Jean Appietto.
Jean était un ami, et ce malgré nos près de 30 années de différence de prestations de serment.
Comme je l'ai déjà écrit lors de l'hommage à Mario Stasi, Jean faisait partie de cette grande famille du football club du palais qui s'échinait à tenter de taper dans un ballon de football le dimanche matin dans des stades de banlieue aussi improbables qu'introuvables.
Mon père m'y emmenait alors que je n'avais pas encore cinq ans et c'est donc pourquoi Jean, Mario et tant d'autres étaient un peu les miens et ont donc, tout naturellement, renforcé ma vocation, qui n'a jamais variée, d’être avocat.
J'aimerais bien que l'on puisse s'arrêter quelques instants dans nos vies personnelles et professionnelles dont le rythme ne cesse de s'accélérer notamment avec les nouvelles technologies qui nous obligent parfois de répondre à un courriel avant de l'avoir reçu, simplement pour dire tout le bien de nos confrères qui viennent de nous quitter, et nous en souvenir, un temps encore, un temps toujours.
J'ai proposé que tous les mardis au conseil de l'ordre, l’on puisse demander à ceux qui le composent, de rappeler le souvenir de ceux qui sont partis.
Jean, ce toujours très élégant jeune homme que nous croisions régulièrement au vestiaire des avocats était toujours en activité professionnelle, vous le savez sûrement, spécialisé notamment en dommage corporel, et conseil de plusieurs compagnies d'assurances.
Jean était pour moi le modèle de la confraternité en tout ce qu'elle a d’essentielle pour nos relations quotidiennes, et avec beaucoup plus de subtilité que ce que laisserait croire la lecture au premier degré des premières pages de notre code de déontologie.
Jean était indéniablement courtois, délicat, et loyal, mais à aucun moment dans sa vie professionnelle il n’a mis en péril la défense de ses clients au nom de ces principes de confraternité.
Tous ceux, et moi le premier qui m'égare parfois dans le droit de la réparation corporelle, et je salue ici le travail admirable de notre confrère Frédéric Bibal pour le développement de cette matière, qui ont eu comme adversaire Jean, se souviennent parfaitement de sa défense intelligente, matoise et stratégique.
La plupart du temps son argumentation ne tenait qu’en une ou deux pages de conclusions mais elle était quasiment péremptoire.
Je me souviens notamment dans un dossier, qu'il avait réussi à me faire croire, et au tribunal aussi d'ailleurs, que la responsabilité de sa cliente, compagnie d'assurances, ne devait pas être mis en jeu au détriment de l'autre compagnie d'assurances présente, et ce, bien évidemment, avant que la cour d'appel ne rétablisse tout cela.
J'ai toujours un ou deux dossiers en cours, avec son cabinet et j'ose croire, et espérer que les écritures que je recevrai dans quelques semaines seront encore de sa main.
C'est un grand Monsieur que nous perdons, un modèle de ce que devraient être tous les jours les relations entre les confrères, faites d'empathie, de compréhension et pourquoi pas d'affection.
Lorsque l'un de nos clients inquiet de la défense, peut-être hasardeuse que nous avions élaborée, demandait à l'autorité en la matière qu’était Jean, de donner son avis, et bien sûr cela m'est arrivé, celui-ci vous proposait pour ne pas vous déranger, de vous rencontrer quelques instants, à l’heure qu'il vous plairait, et à l'endroit aussi d'ailleurs.
« Mon cher Xavier, tes conclusions sont parfaites et bien évidemment je vais rassurer ton client.
Comment va ta mère, Françoise, et tes enfants ?
Te souviens-tu de notre confrère qui jouait avec nous au football club du palais et dont j'ai appris qu'il faisait valoir ses droits à la retraite.
N'hésite pas, quand tu le veux, de passer à mon cabinet, et c'est bien volontiers que je recevrai ta fille qui vient de prêter serment et qui est intéressée par le droit du sport.
Ah oui, au fait, il faudrait peut-être que tu insistes, comme tu le voudras bien évidemment, sur ce petit point dans tes conclusions… »
Enfin, une dernière histoire.
Dans un de nos dossiers communs, ma cliente s'était faite percutée par un véhicule dont la conductrice tentait de minimiser sa responsabilité en prétextant qu'elle était en très léger excès de vitesse.
Le confrère, avec talent, faisait valoir cet argument que je sentais porter et dont je ne savais pas trop comment m'extirper.
Jean venait de plaider par observations sur sa page de conclusions et je l'entends encore s'adresser au tribunal.
« Monsieur le président, si la conductrice avait respecté scrupuleusement les limitations de vitesse, l'accident de toute évidence n'aurait pas eu lieu, car son véhicule n'aurait pas été là à cet instant précis…mais en retard… »
Malheureusement, l’Ankou, comme on l'appelle chez moi, était à l’heure lorsqu'il est venu chercher Jean.
Une cérémonie est prévue à Saint Eustache le Jeudi 20 Février 2014 à 10h30.