Plus y a de gruyère…
Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce syllogisme, parfaitement faux, qui commençait par « Plus y a de gruyère, plus y a de trous… » et qu’on se racontait dans les cours de récréation.
Les associations d'idées sont parfois curieuses, et je n'ai pas pu m'empêcher d’y penser à la faveur de nos dernières élections, tant au conseil de l'ordre, qu’au CNB.
« Plus il y a d’électeurs, plus il y a d'avocats.
Plus il y a d'avocats, plus il y a d'abstention.
Plus il y a d'abstention, moins il y a d’électeurs.
Donc, plus il y a d’électeurs, moins il y a d’électeurs… »
Pour les seules élections du conseil de l'ordre de Paris, l’abstention est supérieure à 75 %, et malgré près de 30 000 avocats, nous sommes retournés, en nombre d’électeurs, à des chiffres de 2005, il y a 12 ans…
Il est vrai qu'à Paris il est particulièrement difficile de voter puisqu'il suffit d'avoir une clef Rpva, et de consacrer 30 secondes à l'exercice…
Les dernières affaires qui ont secoué notre barreau, le climat délétère qui en a suivi, le vent de la révolution sur le conseil de l’ordre n’y sont bien évidemment pas étrangers.
Mais il y a d'autres causes certaines.
À force de vouloir aseptiser les messages de campagne, et de les faire passer par un tuyau unique, l’ordre, on ne favorise pas l'exercice.
Quand vous recevez dix messages de suite intitulés : « Courriers de tel candidat », honnêtement qui a envie de les lire… et qui le fait vraiment ?
Le titre d'un message est important, me semble-t-il, et le fait de les uniformiser empêche d'atteindre les confrères.
Pour avoir participé à quelques campagnes, la moitié des confrères se plaignait de recevoir trop de courriels de ma part, et l'autre moitié de ne pas avoir était informée de ma candidature…
Il faut arrêter de sous-estimer l’électeur, il se montrera intelligent et intéressé si le message, tant sur la forme que dans le fond a un sens.
Paradoxalement, les réseaux sociaux qui sont censés favoriser la communication, la réduisent.
Les photos que nous publions, et nous en sommes responsables, d'avocats participant à tel ou tel événement festif ne peuvent être regardées, d'un œil bienveillant, par ceux qui, isolés, dans leurs cabinets et dans leurs modes de fonctionnement n'ont que peu de temps, et de loisirs pour ce genre de distractions.
La communication sur ces nouveaux médias est biaisée, car qui communiquera sur un sujet sérieux pour la profession ne recevra que peu d'écho, alors qu'une photo, un verre à la main avec un grand sourire recueillera l’approbation de ses nombreux amis virtuels.
L'Ordre est en danger, même si, contrairement à ce qu’on leur prédisait, le tandem de bâtonnier et vice- bâtonnier sortant n'a pas si mal résisté que cela, prouvant que l'institution séculaire est plus forte que ceux qui la composent.
Néanmoins, il va falloir, et rapidement, se poser les bonnes questions et les résoudre, avant qu'on envisage de le faire pour nous.
Pour le CNB, le constat n'est pas forcément plus réjouissant.
Il faut dire aussi, que même si vous maîtrisez parfaitement les règles d'élection en quatre collèges, vous aurez un mal fou à l'expliquer, et à tout le moins, à être audible et compris.
Le collège ordinal Paris, sur lequel la théorie du dégagisme a régné, en est une illustration, puisque bientôt il va y avoir plus de candidats que d’électeurs.
Au collège général, la règle de représentativité, remontée à 7 % a favorisé, comme on pouvait s'y attendre, les grands syndicats de la profession qui ainsi se partageront l'assemblée et les postes.
Dans les prochains six mois, après il sera trop tard, toutes les mandatures l'ont expérimenté, il faudra traiter une fois pour toute la gouvernance et le mode de scrutin.
Il faudra sûrement envisager, sérieusement, le scrutin « Universal », à savoir universel et uninominal, sans forcément de limitation de mandat.
En effet, le problème que le CNB rencontre n'est pas celui de la compétence, la très grande majorité de ceux qui y sont élus le sont, mais celui de la continuité et de la permanence.
Tous les trois ans la nouvelle mandature, et la nôtre, celle qui sort n’y a pas failli, réinvente une institution, sans mémoire.
On se prive ainsi de talents indispensables (je sais les cimetières en sont pleins…) à la profession.
J'en veux pour illustration Philippe Henri Dutheil qui a porté la commission internationale à un niveau de reconnaissance mondiale, dont la présence de 54 délégations internationales à la convention nationale de Bordeaux en est une preuve.
Ne pas permettre à de tels talents, en dernier mandat, de continuer leur travail au bénéfice de la profession est désespérant.
On assiste ainsi à une sorte de principe de Peter inversé, celui qui montre sa compétence au plus haut niveau est purement et simplement écarté.
Le CNB a 25 ans mais n'est toujours pas mature politiquement même si, heureusement le travail des commissions grâce, notamment, aux salariés permanents de l'institution, est de qualité.
Je sais qu'il est de bon ton, en fin de mandat de taper sur celui qui a présidé l’institution, malheur au sortant.
Cependant, je l'ai déjà écrit, et il m’en a coûté, mais je le répète, Pascal Eydoux malgré toutes les critiques dirigées contre lui, et personne n'est parfait, a incarné notre profession d’avocat pendant trois ans.
Comparez la crédibilité de l'institution aujourd'hui et il y a trois ans.
Comme le disait Winston Churchill : « Si vous avez des ennemis c’est que vous avez entrepris quelque chose… »
Maintenant, il est temps de passer à la maturité, et de traiter les sujets importants et indispensables à la future grande profession d'avocat.
Je sais que la vraisemblable prochaine présidente de l'institution, Christiane Feral Schuhl, entourée d’une assemblée qui n’aura pas d’autre choix que d’être pro-active, mettra toute son énergie pour le faire.
Elle en a les qualités, l’expérience et surtout… la volonté !