Chauveau, Paris, Annicchiarico, Albou, Chiloux : Jean François, Appietto, Jacob, de grands avocats, certes, mais surtout, le dimanche matin, à Châtenay-Malabry, au polygone de Vincennes, ou à la vache noire, de redoutables footballeurs et parmi eux Mario Stasi…
De cette race de footballeurs qui après une semaine de travail, chargée, un samedi soir souvent pas moins, se réveillaient à l'aube pour participer à l'un des plus grands championnats du football amateur : le CORPO.
L'équipe du football club du palais affrontant les médecins, les plombiers, ou les gardiens de prison, et parmi eux Mario.
Qu'on se le dise, à l'époque on ne faisait pas dans la dentelle.
Le carton jaune existait peu, quant au rouge : jamais mis, jamais vu.
Le tacle, vous savez ce plongeon désespéré dans les pieds de l'attaquant en faisant semblant de viser le ballon, se pratiquait les crampons, pas toujours réglementaires en avant, directement dans les protèges tibias, qui eux l'étaient, ou devaient l'être si vous souhaitiez encore pouvoir marcher le lundi. Et parmi eux avec son éternel sourire Mario.
Les plaidoiries des lendemains qui chantent s'élaboraient là :
« Mais non Monsieur le procureur, excusez-moi, Monsieur l'arbitre, il n'y a pas faute, c'est le ballon qui vient à la main et non le contraire… »
« Il n'y a pas peno, la main était involontaire, je vous le jure votre honneur, pardon Monsieur l'arbitre… »
Et parmi eux, bien sûr, Mario.
À l'époque, il y avait du flamboyant, du sérieux, du brutal comme auraient dit les Tontons Flingueurs.
C'était l'époque des ballons en cuir pas vraiment ronds, des chaussures montantes aux crampons en ferraille, des chaussettes sans vraiment d'élastique, des shorts informes aux couleurs improbables, surtout après quelques dimanches, enfin des maillots pas tous identiques.
Parmi eux deux gamins qui allaient bien sûr prendre le vice du football et de l'avocature : Jean Victor Annicchiarico et moi-même.
Nous faisions un peu partie de la grande famille, partageant les douches maculées de la boue des chaussures avec lesquelles la plupart du temps elles étaient prises, dans cette odeur inimitable de vestiaire, Synthol et pommades en tous genres, chaleur et vapeur se dégageant de ces corps qui avaient couru pendant des heures, après un ballon, bien trop rapide, et parmi nous toujours Mario.
Une anecdote, si vous le permettez, à cette époque, les gardiens de but censés s'interposer entre le ballon et les filets, justement pour que le premier ne touche pas les seconds, avaient une casquette en tweed, des caleçons longs, et une voix grave.
Le nôtre s'appelait Francis Jacob.
Un dimanche, lendemain de fête où on n’avait pas fait que de sucer les glaçons, Francis Jacob se retrouve sur sa ligne de but dans un état… disons… précaire.
Arrive un attaquant adverse, qui place un boulet de canon au raz de notre gardien qui ne bouge pas d'un poil pour éviter le but.
Soudain la voix caverneuse de Francis Jacob s'éleva : « Ben les amis, un peu plus je bougeais et je me la prenais pleine poire dis donc… »
Puis ce fut une nouvelle génération. Notre coupeur de citron, avocat honoraire, M. Isbecque, avec son imperméable digne du baron Pierre de Coubertin n'était plus là, les citrons de la mi-temps non plus. Mais parmi nous, toujours Mario.
Notre inoubliable gardien, atteint par la limite… d'à peu près tout d'ailleurs, avait cédé sa place au grand pénaliste Jean Alain Michel, pas si maladroit que ça dans les buts il faut l'avouer, si tant est d'ailleurs que je puisse utiliser ce mot.
Ce fut l'époque des Jean Paul Petreschi et Henri Rouch entre autres, et parmi eux, pour compléter une équipe qui avait parfois du mal à faire le nombre, quelques étudiants en droit dont je faisais partie.
De temps en temps, malgré ses occupations professionnelles dues à ses fonctions multiples, venant nous encourager, il y avait Monsieur le Bâtonnier Mario Stasi.
D'ailleurs ces appellations sont bien incongrues.
Il n'y avait en fait pas de Bâtonnier, ni de Monsieur, ni de Mario Stasi mais simplement comme nous l'avons tous connus : Mario.
Un primus inter pares que son charisme naturel avait tout naturellement conduit à occuper les plus grandes fonctions au sein de notre Ordre.
Mais sur un terrain, il n'y avait qu'un joueur comme les autres que nous appelions tous, et tout simplement, Mario.
Les générations se sont alors succédées et si j'ai moi-même perdu le contact avec le football club du Palais, je sais que les successeurs, dont notamment Jean-Noël Couraud associé de Jean Appietto et de Jean Paul Petreschi, démontrant ainsi l'attachement de ce cabinet à ce sport depuis plus de 50 ans, n'ont pas manqué de recevoir, de temps en temps, la visite de celui qui restera pour nous tous : Mario le footballeur.
Mais comme on l'a déjà dit, Mario Stasi c'était aussi, et surtout la ville de Reims et sa fabuleuse équipe de football des années 50.
Laissez-moi évoquer cette période, pour ceux, qui encore tout ébaubis des matchs nuls du Paris Saint Germain, ne la connaitrait pas : ces tenues rouges et blanches, la première finale de la coupe d'Europe des clubs champions à laquelle assistait Mario, enfin sa fierté de voir remonter en ligue 1 son équipe favorite il y a à peine quelques mois.
J'emprunterai les mots de Henri Haget dans son article publié dans le journal : L’EXPRESS, tout Mario est là.
La décennie des années 50 marque l'apogée du club. Admiré en France comme à l'étranger, il enchaîne les victoires, multiplie les titres et transforme le football en passion nationale.
C'était hier. Enfin, presque. En ce temps-là, les photos racontent la vie en noir et blanc et la cathédrale de Reims s'appelle Auguste-Delaune. La télé n'existe pas. Et d'ailleurs, quand elle se met à exister, c'est ici, à Delaune, que ses caméras se posent pour diffuser le premier match en direct de l'Histoire, Reims-Metz, le 29 décembre 1956.
Qui ne connaît pas la légende du Stade de Reims ? Pour la première fois, en France, grâce à des magiciens du ballon nommés Sinibaldi, Méano, Flamion, Piantoni, Kopa, le football devient une passion nationale. Que l'on soit d'ici ou d'ailleurs, on ne parle que de ça. On aime le Stade de Reims comme on aime Piaf ou Gabin.
Quand les Parisiens ne viennent pas à Reims, c'est Reims qui se rend à Paris. Les 25 000 places du stade Auguste-Delaune ne suffisent plus pour abriter les matchs de gala. Et des matchs de gala, les artistes rémois en jouent à la pelle…
Sans oublier, cerises sur le gâteau, les deux "glorieuses" de 1956 et 1959 contre le Real Madrid d'Alfredo Di Stefano, en finale de la Coupe d'Europe des clubs champions. Kopa, le dribbleur aux semelles de vent, dispute le premier match dans un camp et le second dans l'autre. Le transfert a coûté 100 millions de francs de l'époque au club madrilène. On ne sait pas exactement combien ça fait en euros, mais on est sûr d'une chose : ça les valait.
En s'élevant dans les palmarès ou en trépassant au terme de rencontres échevelées, le Stade de Reims a pris sa place dans l'imaginaire des Français. Il émane de cette équipe un romantisme qui disparaîtra des pelouses de football avec elle.
C'est ainsi que le fameux corner "à la rémoise" survécut à toutes les modes. Résumons: plutôt que de balancer un grand coup de chaussure en direction du ciel, les équipiers de Robert Jonquet, dit Bob, s'entendaient à tricoter un récital de passes courtes qui les emmenaient immanquablement à portée de fusil du gardien adverse.
Un demi-siècle plus tard, c'est un plaisir rare et sucré comme une madeleine que d'entendre les commentateurs expliquer que David Beckham ou Ronaldinho viennent de jouer un corner "à la rémoise". Cela ferait la même impression de voir débouler Lewis Hamilton au volant d'une R8 Gordini.
La nostalgie n'est plus ce qu'elle était.
Mais les clubs qui ont connude grandes heures s'assurent une vie éternelle, et parmi nous, pour toujours : MARIO !