Petit préambule ponctuel, destiné à disparaître bientôt, et d'assez peu d'importance en définitive, concernant la genèse de ce texte.
Il y a quelque temps, la commission culture créée par l'excellent Emmanuel Pierrat et reprise depuis par d'autres, a imaginé lancer la première revue littéraire du palais.
Excellente idée à laquelle j'ai immédiatement souscrit en présentant ce que vous pourrez lire ci-dessous, si vous en avez, et le temps et l'envie.
Parfois il est vrai la confiance se teinte de naïveté et à force de ne pas être courtisan on n’est pas considéré.
Cette revue se fera donc sans moi et il me tarde déjà de l'avoir dans les mains, bilan de deux années glorieuses qui se terminent.
En y réfléchissant en fait, j'aimais bien : « Libres pour servir »...
L'accès au palais de justice de Paris est multiple, varié et parfois secret, ou, à tout le moins, l’était.
De tout temps, nous pouvions y entrer solennellement, par plusieurs volées de marches en marbre, selon nos souhaits, mais surtout nos moyens de locomotion, soit par le boulevard du palais soit par la place Dauphine.
Enfin, je vous parle d'un palais de justice qui, quoiqu'il arrive, ne sera plus du tout le même à partir de 2017 et du déménagement aux Batignolles.
Certains le fréquenteront encore, d'autres, plus du tout, et il n'est peut-être donc pas inutile d'en garder une mémoire.
Aujourd'hui, on ne peut plus entrer par l'escalier magistral, bien que caché du grand public, ce qui n'est pas toujours antinomique, de la place Dauphine.
Pas plus, hélas pour les mêmes considérations, sécuritaires ( ?) nous ne pouvons monter, sauf à passer par la porte : « Sortie », les marches du boulevard du palais que néanmoins nous pouvons descendre, allez comprendre.
La véritable entrée des professionnels en réalité, c'est par le 36 Quai des Orfèvres et la police judiciaire.
Enfin devrais-je dire, ça, c'était avant, puisque nous venons d'apprendre que la première présidente de la cour d'appel ne souhaitait plus à partir du 1er décembre 2015 qu'une seule entrée pour les avocats, à savoir par le boulevard du palais.
Tout ceci va être parfait surtout lorsque l'on viendra de la maison du barreau, de la Carpa ou de l'exercice professionnel dont les locaux se trouvent de l'autre côté… Place Dauphine…
Si nous étions paranoïaques, ce qui est bien évidemment un défaut qu'aucun d'avocat n’entretient, nous penserions que cela est fait à dessein.
Quoi qu'il en soit, imaginons encore que l'autorité du bâtonnier permettra d'échapper à cette mesure en répression de quelques incidents que personne n'avait envisagés de maîtriser, et commençons la pérégrination.
Après un passage par un sas en quinconce où il convient de montrer patte blanche, nous accédons, par un porche incertain, à une cour où se dresse depuis toujours une construction en préfabriqué destinée à être temporaire.
Nous abordons alors le célèbre escalier A au lino noir improbable, aux murs d’une couleur indéterminée, qui autrefois, cependant ont dû être beige, peut-être, et à la rampe en bois polie par des mains successives et incessantes, digne d’un univers à la Maigret.
Pour nous l’arrêt sera au premier étage envisageant et surtout fantasmant sur ce qui peut bien se passer à la police judiciaire située au-dessus, et dont certains faits divers nous renseignent néanmoins.
Dans l’escalier A, il n'est pas rare d’y croiser des Robocop, armés jusqu'aux dents prêts à bondir, gilets pare-balles bien ajustés, sortes de Terminator s'apprêtant à sauver le monde : « I’ll be back ».
En quittant cet escalier, on franchit une porte à la sécurité diabolique puisque, à partir de 20h, date de sa fermeture officielle, le coin en bois qui la maintient ouverte toute la journée est retiré, mais par qui, on aimerait bien le savoir (enfin moi, cela me turlupine).
À droite, ce sont les chambres de l'instruction, que j'avais appris à appeler d'accusation ce qui ne change pas grand-chose d'ailleurs, même si je les ai à peine fréquentées, peut- être du fait de leur côté un tantinet… désagréable…
À gauche, le couloir qui dessert l'ordre des avocats et la bibliothèque de l'ordre, aux bancs assez modernes même s'il est tout à fait inquiétant de voir à la place des bras, des tablettes d'inspiration IKEA destinées à y poser les cafés qui vont se succéder, rythmant ainsi l'attente qui en résulte.
Avec un peu de chance, vous y croiserez Éric Dupond-Moretti qui parmi ces immenses et divers talents, vous montrera comment l'on peut fumer une cigarette dans la manche de sa robe.
Dans le cadre du futur déménagement, nous devrions, c’est écrit, conserver : le bureau du bâtonnier et la salle du conseil, majestueuse, ornée des portraits de 12 juristes, plutôt inconnus, et dont un seul fût avocat, et la bibliothèque de l'ordre des avocats aux souvenirs impérissables qui deviendrait, par une destination évidente, nôtre musée.
Une petite galerie maintenant, assez amusante car là encore cela fleure bon le précaire permanent, surtout vue de l’extérieur, et l'on arrive dans la galerie de la première présidence.
Par une tradition, pas si ancienne que cela, c'est ici que les avocats placent les médaillons des plus illustres d'entre eux.
À gauche, tiens donc, le premier : Gaston Monerville.
Puis en allant vers la droite Vincent de Moro Giafferi, ténor d'une autre époque dont les anecdotes résonnent encore, parfois, dans les couloirs.
Vous n’êtes pas sans savoir que les civilistes, et autres d'ailleurs, ont l'habitude de plaider sur les fondements des codes auxquels ils se réfèrent.
Ainsi lorsqu'on plaide en responsabilité civile, on a l'habitude d’évoquer les articles 1382 et suivants du Code civil, soit, les deux ou trois articles qui suivent, au plus.
Rappelons pour les non-initiés, que le Code civil se compose de plus de 2500 articles et de 2500 pages. Un président un peu agacé par la plaidoirie de Vincent Moro, brillante certes, formellement, mais un peu décousue techniquement et juridiquement, osa l'interrompre et lui demander sur quels fondements il basait son argumentation.
La réponse, célèbre entre toutes, ne se fit pas attendre : « Monsieur le président : Code civil article 1… et suivants… »
Nous voici au médaillon du bâtonnier Charpentier, celui de la seconde guerre mondiale, dont les prises de positions resteront de tout temps controversées et qui se garde bien de regarder à sa droite celui de Pierre Masse, premier secrétaire de la conférence du stage, mort en déportation et dont la lettre d'adieu à son bâtonnier, Charpentier, se doit d’être lue, par tous ceux qui veulent devenir avocats.
Enfin, c'est le médaillon du dernier accroché : Maurice Garçon, polyvalent, iconoclaste et surtout immortel.
Que nos contemporains se rassurent, à la droite de Maurice Garçon il reste, jusqu'à la prochaine porte d'audience… onze places disponibles… Notre « Hall of Fame » peut donc se remplir gentiment, et si l'on m'interroge, j'ai d'ores et déjà quelques idées…
Pas une femme vous l'aurez remarqué, et il faudra prendre le couloir, moins prestigieux, de gauche qui nous mène au vestiaire pour qu’enfin, dans la galerie Duc, apparaisse le médaillon de Maria Vérone.
Pourtant là encore, j'ai quelques petites suggestions, que je peux partager, je vous l’assure, sur celles qui pourraient trouver place tout à côté de Maurice Garçon.
Nous voici au vestiaire face à un escalier en arc de cercle qui avec une imagination débordante pourrait faire penser à celui d’un château à la française.
Y a-t-il un sens pour monter à l'étage supérieur ? Honnêtement j'en suis persuadé, mais je pense que pour en être sûr il conviendra de procéder à une consultation populaire.
Pour ma part, je prends toujours l'escalier de gauche, en entrant par la galerie Duc pour redescendre par celui de droite.
Et surtout ne me parlez pas de superstition.
À la question « Etes-vous superstitieux », il faut toujours répondre par : « Non cela porte malheur ».
Ce petit escalier, à la moquette bleue chinée de blanc aussi improbable que le lino de l'escalier A, est un des lieux par excellence où l'on croise tous les confrères que l'on souhaitait voir, et les autres aussi… malheureusement.
La montée n'est pas très joyeuse puisque sur la gauche c'est la rubrique nécrologique qui nous attend, ce qui impose d'ailleurs de monter par ce côté pour quitter le vestiaire d'un pas plus léger.
En haut, les toques, qui ne sont plus hélas nos chapeaux renversés où du temps de mon père, ou encore plus tard, les boîtes à chapeaux, mais d’horribles petites casses métalliques et impersonnelles, truffées de post-it indiquant que l'ancien propriétaire ne l'est plus, et de flèches au marqueur précisant qu'il faut prendre le courrier en dessous du nom et non au-dessus comme tout le monde le fait.
Pour moi, ce sont les toques de la rangée B, celles qui sont tout près des toilettes, ce n'est pas forcément très intéressant de le mentionner mais cela a un côté pratique néanmoins.
Ma « Dame du Vestiaire », n'est pas une vieille rombière acariâtre comme on a pu en connaître hélas, mais une ravissante jeune femme à la disponibilité et à la gentillesse exemplaire.
Je le mentionne volontiers car cela compense un peu le caractère impersonnel et fouillis des lieux dans lesquels ceux qui dépassent 1 m 80 ont toujours peur de se voir percuter par une caisse, filant sur des rails au plafond, et transportant notre courrier, vieille réminiscence des « pneus » d'antan.
Nos Cases/Toques, ne mesurant qu'à peine une dizaine de centimètres de hauteur, bien évidemment la plupart des dossiers dont ceux de plaidoirie ne peuvent s'y loger.
« Maitre Chiloux vous n'oublierez pas de prendre en haut de votre colonne, les trois énormes dossiers de plaidoirie qui nous encombrent depuis plusieurs jours », me rappelle sournoisement un post-it blanc sur la tranche de ma toque qui empêche ainsi quiconque, dorénavant, d’en identifier le titulaire.
Saisissant d'une main alerte mon courrier qui devient de plus en plus rare de nos jours, tout en gardant en équilibre ma serviette et ma robe sur le bras opposé, je me dirige, d’une démarche qui se veut la moins inélégante possible vers la tablette de l’entrée, toujours encombrée et impropre à remplir son office, qui me permettra d’ouvrir ma correspondance…au vu et au su de tous.
Puis me voilà descendant par l'escalier de droite, toujours, regardant à gauche la vitrine, plus encourageante, des associations avant d'opter pour l'une ou l'autre des deux sorties.
Cette fois-ci, ce sera par la galerie marchande qui surplombe la cour du Mai.
Je pénètre dans celle-ci toujours avec une forte émotion car c'est là que m'attendait mon père il y a maintenant 20 ans lorsque nous décidions de déjeuner ensemble. « Mon fils, je t'attendrai à 12h30 sur le banc en bois devant la Poste de la galerie marchande. Tibi »
Cette galerie est toujours merveilleusement claire et j'ai toujours l'impression qu'il y fait systématiquement beau, quel que soit le temps et la météo extérieure.
C'est pour moi l’un des endroits les plus symboliques de notre palais, plus encore que la salle des pas perdus adjacente et dont je parlerai peut-être un peu plus tard, ou à un autre moment.
Il est vrai que les bancs sont de bois même si leur couleur ébène en fait douter.
Prenez quelques instants pour en examiner les bras ornés de têtes de félins qui ne peuvent être que l'inspiration de ceux de Fort Boyard, j'en suis sûr.
De Poste, il n'y en a plus désormais, mais c'est avec une certaine émotion, au demeurant fort légitime, que j'ai remarqué que la salle qui y avait pris place s'appelle dorénavant : « Salle d'audience de la poste de la cour d'appel ». La tentation serait grande maintenant de dévaler cet escalier en marbre qui une fois la cour du Mai traversée nous mènerait sur le majestueux boulevard du palais.
Il nous faudrait alors remonter par l'escalier de côté, celui qui longe la conciergerie et qui s’orne en son entresol d'inscriptions historiques et si mystérieuses : numéro 5 d'un côté numéro 8 de l'autre : « Abonnement et lecture de journaux… ».
Comme je suis garé Place Dauphine, me revoilà arpentant la galerie marchande et laissant sur ma gauche la Sainte-Chapelle, écrin mystique voulu par Louis IX, qui nous accueille traditionnellement, une fois par an, lors de la messe de la Saint Yves, saint patron des avocats.
Un peu plus loin sur la droite, c'est le point d'information pour le public qui est ouvert de 12h32 à 12h43 les jours pairs des mois impairs, et les jours impairs des mois pairs…sauf les jours fériés…
Nous repassons dans la galerie de la première Présidence, laissant d'un côté l'escalier Z et de l'autre en toute logique, le T et le Y.
Il faudra bien un jour qu'on nous explique quel est l'esprit particulièrement tordu qui a disposé ainsi les escaliers du palais de justice dans un ordre connu, que de lui, et encore ce n'est pas sûr.
S'ajoute à ceci une nouvelle signalétique d'une couleur bordeaux du plus mauvais effet et qui ne permet pas d'identifier précisément où l'on doit se rendre, sauf si bien sûr on le sait, ce qui n’est pourtant pas le but recherché.
Après avoir retrouvé l'escalier A qui n'est pas forcément plus engageant à la descente qu'à la montée, on retraverse la cour au préfabriqué, le porche incertain et le contrôle des forces de police qui, dans ce sens pas n'ont pas grand-chose à faire, il faut l'avouer.
On longe des barrières métalliques qui nous font l'effet d'avoir été disposées à la va-vite alors qu'elles sont là de tout temps ; encore du provisoire qui dure.
S'il fait nuit, on ne manquera pas d'observer le néon bleu qui luit, encore pour quelques jours dans le bureau du bâtonnier, réminiscence de joies de campagne.
Sur la gauche, c'est un immeuble, improbable lui aussi, au style architectural totalement décalé et dont on peut se demander comment il a été autorisé à cet endroit, qui accueille encore, pour quelque temps : la Carpa, l'exercice professionnel, et d'autres services administratifs de l'ordre.
Traversant la magique place Dauphine, je me retrouve devant le numéro 12 qui accueille la gazette du palais, la conférence des bâtonniers et le cabinet de mon ami Xavier Charvet.
En fait, j'ai été beaucoup trop loin car ma moto est garée, enfin je l'espère tant que le préfet de police ne fait pas de zèle, un peu en dessous de la place Dauphine.
Voilà, le voyage semble terminé ; mais n'ai-je pas oublié de vous parler de quelque chose ?
Ah oui je m'en souviens : un trottoir, que diable !
Faites en l'expérience, je vous en conjure, plutôt que de raser bêtement les murs du palais entre les barrières métalliques, provisoires rappelons-le, et les voitures de la police judiciaire, essayant de ne pas vous faire faucher par un bus, lancé pleine balle depuis la statue d'Henri IV, traversez la rue dès votre sortie par le 36 Quai des Orfèvres.
Le voyage peut être plus ou moins court, entre 20 et 50 m mais honnêtement vous ne pourrez être déçus, quelle que soit l'heure du jour : l'allée pavée qui descend vers la Seine, vierge de toute automobile, car c'est là que naguère les avocats se garaient, la Seine donc, majestueuse, plus loin le Pont-Neuf, pas tant que cela d'ailleurs, et un peu plus au fond, le Louvre…
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Oui, je le sais, ce n'est pas exactement le pont Mirabeau mais la Seine y coule un peu, en avance, et comme le disait Coluche : « Vous savez moi sans mes lunettes… »