Liberté d’expression de l’avocat
Big Brother is watching you, Big Brother is watching us, et plus encore Big Data is everywhere…
Avant que d'aborder le sujet du jour, que je traiterai, ne vous inquiétez pas, à savoir la liberté d'expression face aux nouvelles technologies, encore faut-il s'interroger un peu plus en amont, quant à la liberté d'expression de l'avocat stricto sensu.
Je vous avoue être assez étonné, car, dès que je me pose une question déontologique, je me réfère à la Bible en la matière, à savoir l’ouvrage : « Les règles de la profession d'avocat » plus connu sous le nom de Damien Ader, et auquel, dorénavant je crois, mon excellent ami Dominique Piau apporte sa contribution.
Quelle ne fut pas ma surprise, en consultant son index thématique alphabétique, de ne voir aucune entrée à : liberté d'expression, expression, et même d'ailleurs, communication de l'avocat.
Quelques lignes néanmoins dans cet ouvrage, pourtant assez volumineux sur les immunités de plaidoirie.
Il est ainsi rappelé, que dans son activité judiciaire, l'avocat plaidant est protégé contre les actions en outrages, injures ou diffamations à partir du moment où ses propos sont en liaison avec le litige en lui-même et n'excèdent pas les droits de la défense.
Il s'agit des dispositions anciennes, mais toujours en vigueur de la loi du 29 juillet 1881 et plus spécialement de son article 41.
Notre code de déontologie est lui un peu plus loquace sur la matière, et c'est une bonne chose.
Nous pouvons constater que la plupart des notes de référence se trouvent situées sous l'article 1, et plus spécialement, le fameux article 1.3 que nous connaissons, tant en déontologie qu’en disciplinaire.
Il s'agit de l'article central de ces deux matières, nous y reviendrons bien évidemment, à savoir les 16 principes essentiels de la profession d'avocat.
Comme on le sait, ou pas d'ailleurs, il manque un autre principe fondamental dans ses principes essentiels, une sorte de deuxième jambe à lui seul, à savoir : le secret professionnel.
La première référence de notre code de déontologie se rapporte à une affaire qui a défrayé notre landerneau judiciaire, mais pas seulement lui d'ailleurs.
Dans une plaidoirie enflammée, l'un de nos confrères célèbres, ténor du barreau s'il en est, avait, ni plus ni moins, traité le procureur général de : « traître génétique »…
L'arrêt de la cour d'appel saisie de cet incident est particulièrement instructif car, de toute évidence, et objectivement, le propos de notre confrère était diffamatoire.
Néanmoins, la cour l’exonère de toute responsabilité dans une sorte de parallélisme des formes, et d'égalité des armes.
En effet, la motivation centrale est que le procureur général en question communiquait abondamment au travers d'un blog, et aussi sur les réseaux sociaux s'abandonnant à l'expression publique de ses opinions personnelles sur des questions de société.
On touche là, un premier point important de la liberté d'expression, et surtout de ses limites qui ressemble étrangement aux conceptions que l'on peut avoir, des bonnes mœurs et de l'ordre public dans le temps, et aussi, pourquoi pas, de l'humour.
On peut rire de tout, mais pas forcément avec tout le monde et à tous les moments.
Ainsi, le propos précité, qui n'aurait pas manqué d'être sévèrement sanctionné en dehors de tout contexte se trouvait légitimé par celui-ci.
Je ne résiste pas au plaisir de vous narrer l'anecdote qui avait fait le tour du palais, d'un non néanmoins célèbre confrère, amené à défendre une société, devant la juridiction du travail en France : le conseil des prud'hommes.
L'employeur avait licencié pour faute grave son salarié auquel il avait remis une lettre d'avertissement, et qui lui avait rétorqué : « votre lettre d'avertissement vous pouvez vous la mettre au cul… »
Le conseil de prud'hommes, dans sa sagesse extrême, avait décidé qu'il ne s'agissait pas d'un motif de licenciement.
Notre confrère était venu entendre le prononcé de la décision en audience publique et avait demandé la parole à l'issue.
Il avait alors proféré ces paroles inoubliables : « Et bien Monsieur le président et Messieurs les conseillers, vous savez, votre jugement vous pouvez vous le mettre au cul… »
Là encore, l'outrage et l’injure sont indéniables, mais il fut particulièrement difficile au conseil des prud'hommes d'en faire état, alors qu'il venait d'exonérer le salarié, ayant prononcé les mêmes propos, de toute sanction.
En sortant des prétoires, l'avocat peut se trouver attaqué quant à sa liberté d'expression, et cette fois-ci, il ne sera plus protégé par les dispositions de la loi sur la presse, mais plus sûrement par les dispositions de l'article 10, notamment, de la convention européenne des droits de l'homme.
Pour rappel, cet article 10 mentionne : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières. »
Aussi il a été reconnu, par la cour européenne des droits de l'homme en mars 2011, que les avocats ont le droit, au nom de cette liberté d'expression garantie par la convention, de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice à partir du moment où leurs critiques ne dépassent pas certaines limites.
La cour autorise ainsi des propos, mêmes acerbes et sarcastiques, à partir du moment où ils ne sont pas injurieux, et qu'ils relèvent de la critique admissible.
Nous ne nous trouverons pas dans cette hypothèse, lorsque les propos seront adressés à l'issue d'une audience, directement à un magistrat manifestant exclusivement une animosité personnelle à son endroit.
La sanction de tels agissements se fera alors sur un manquement à la délicatesse. Nous y voilà.
En effet, comme je vous l'annonçais tout à l'heure, les principes gardiens de la liberté d'expression de l'avocat sont, et ont toujours été, les principes essentiels.
Plus précisément, parmi ceux de l'article 1.3 du règlement intérieur, ce seront ceux de : délicatesse, modération, dignité et d’honneur, qui serviront de curseurs pour l'avocat.
Tout ceci, c'est bien gentil pourriez-vous m'opposer, dans un procès que l'on a, en opposition à celui de rupture, appelé en France celui de connivence.
Comme l'a écrit l'un d'entre nous, l'avocat ce n'est pas simplement de l’huile dans le moteur, c'est aussi, et parfois, du sable dans l'engrenage.
Ainsi, nos grands principes essentiels semblent bien désuets, lorsque les droits de la défense sont en jeux, et que le défenseur a choisi la rupture, et donc la remise en question, et l’impertinence.
Il est évident que la liberté d'expression ne sera pas la même lorsque l'on aura à apprécier, et qu'on a eu à le faire d'ailleurs, le comportement d'un Tixier-Vignancour ou d'un Vergès, plutôt que celui d'un avocat moins connu.
L'autre grande limite aux frontières de notre liberté d'expression, est indiscutablement le secret professionnel.
Celui-ci dans sa définition, attaqué de plus en plus cependant par nos pouvoirs publics dans les dernières années, est absolu, général et illimité dans le temps.
Du fait de cette définition stricte, ce principe ne permet pas une appréciation in concreto de l’infraction envisagée, et les circonstances de temps, de lieux, ou de personnes ne pourront pas permettre quelques latitudes que ce soient.
C'est ce que l'on enseigne dans nos écoles de formation, sanctionnant le moindre étudiant qui oublierait les trois caractéristiques d'absolu de général et d'illimité dans le temps.
La réalité est toute autre au cours du procès pénal dans lequel, seuls quasiment les avocats, parmi les parties au procès, sont tenus de respecter le secret professionnel.
Les magistrats et procureurs n'y sont pas astreints, pas plus que les autres intervenants.
Aussi, il n'est pas rare que la presse se fasse écho, notamment dans les grands procès médiatiques, d'informations qui sont, et qui devraient être strictement couvertes par ce secret professionnel.
On nous l'impose à nous avocats, mais on l'attaque à l'envi, n'hésitant pas à nous écouter dans nos conversation avec nos clients, et même à en retranscrire les propos.
Curieusement, et contre toute attente, ces méthodes ont été cautionnées par la cour européenne des droits de l'homme.
À une époque tout le monde est au courant de tout et immédiatement, où les réseaux sociaux et le Big Data sont omniprésents, comment l'avocat doit-il se comporter face à ces nouvelles technologies ?
Sites professionnels, sites plus personnels, blogs, Twitter, Facebook et pourquoi pas Instagram, nous ne sommes qu'au début de la communication numérique instantanée, et multidirectionnelle.
Avant que nous soyons submergés par l'intelligence artificielle, nous pensons pouvoir encore maîtriser cette communication, celle-ci étant bordée par les guidelines des principes essentiels, jambe droite, et du secret professionnel jambe gauche.
Droit dans nos bottes de ce fait, nous pensons respecter l'orthodoxie.
C'est sûrement plus compliqué car comme on l'enseigne, l'avocat, dès qu'il a prêté serment, est, dans sa vie professionnelle bien sûr, mais aussi à chaque instant de sa vie personnelle, soumis au respect des principes essentiels et fondamentaux de sa profession.
L'avocat ayant commis une infraction pénale, même un délit routier, peut se voir soumis à une sanction disciplinaire, le plus souvent à la demande du parquet, allant jusqu'à la privation des droits d'exercer temporairement, la plupart du temps, sa profession.
Il en est de même en ce qui concerne les nouvelles technologies.
L'un de nos plus célèbres blogueurs et twittos , Me Eolas en a fait les frais.
Ce communiquant bien connu, suivi par 186 000 followers avait pour habitude de commenter abondamment, et fréquemment, sa vie professionnelle, jonglant, sur le fil du rasoir, avec les principes essentiels et le secret professionnel.
Il a fini par être condamné à 2000 € d'amende et 5000 € de dommages-intérêts par une décision du 6 octobre 2015 qui a provoqué la fermeture immédiate, par lui, de son compte Twitter.
Son blog est néanmoins cependant toujours en activité…l'on connaît parfaitement l’addiction à toutes ces nouvelles technologies.
Face à celles-ci, les principes définis plus avant restent les marqueurs évidents, et l'on ne pourra que conseiller la plus grande vigilance à tous nos confrères.
En effet, même si c'est pareil, cela va simplement plus vite, plus loin et partout, Citius, Altius, Fortius, si j’osais.
Il y a ici, des sources réelles d’inquiétudes.
Les propos tenus par l'avocat, même couverts par l'immunité de plaidoirie, peuvent aujourd'hui aisément être enregistrés, sortis de leur contexte, et diffusés abondamment par ceux qui qui y auront intérêt.
Dans nos conversations avec nos clients, au téléphone ou dans nos bureaux, nous sommes sujets à une violation permanente de nos droits, dont notamment ceux liés au secret professionnel, et à la confidentialité des échanges entre confrères.
Nos boîtes courriel peuvent être violées à tout moment, et nos données personnelles et confidentielles stockées dans le cloud, consultées, sans même être un petit génie de l'informatique.
Il est à craindre, que face à ces nouvelles technologies, l'avocat soit obligé de faire encore plus preuve, debout sur ses deux jambes, de rigueur et de contrôle quant à tous ses propos et écrits.
Il s'agira ainsi d'une autocensure, en amont, sûrement un peu antinomique avec une liberté totale des droits de la défense, mais là, c'est une autre question.