Lors de la prochaine assemblée générale du conseil national des barreaux, les 3 et 4 mars 2017, nous allons envisager la suppression du port de la toque, le chapeau traditionnel et anachronique des avocats pour ceux qui l’ignoreraient, dans le costume d'audience de la profession d'avocat.
Nous savons très bien ce qui se cache derrière cela, et nous ne pourrons en aucune façon aborder le sujet, sans discuter, et traiter la question du port du voile avec la robe d'avocat.
Il n'y a plus aujourd'hui que quelques porteurs de cette toque, et il convient pour une fois, dans nos raisonnements hexagonaux, de voir l'intérêt de la majorité et non pas celui d'une minorité.
Si je me suis toujours élevé contre ce type d’argumentation, particulièrement pernicieux à la longue, vous me permettrez néanmoins, un peu de nostalgie, sur le temps, et les usages qui passent.
J'ai écrit quelques nouvelles, qui seront peut-être publiées, si cela intéresse quelqu'un, et si un éditeur souhaite tenter l'aventure.
Je vous en livre une en avant-première dont le nom est : « Le Toqué ».
J'ai volontairement changé le nom de celui que nous connaissons bien au barreau de Paris mais si, par grâce, il acceptait que je mentionne sa véritable identité, je le ferai avec plaisir.
Dans notre profession, celle d'avocat, nous avons quelques usages, dont certains sûrement désuets, issus de traditions séculaires.
Qui ne s'interroge sur la justification du port de la robe, sur son épitoge herminée en province, et noire à Paris, et sur ces formules de politesse, qui souvent veulent dire le contraire : « Veuillez me croire votre bien dévoué… »
Les gravures de Daumier nous montrent quelques plaideurs arpentant la salle des pas perdus, robes en mouvement et surtout, ce qui ne laisse pas de surprendre les générations actuelles, porteur d'un chapeau appelé toque.
Dans d'autres siècles, ce chapeau retourné permettait de recueillir au palais, le courrier que les confrères, et les tribunaux vous adressaient, avant que la poste, puis internet viennent mettre en péril cette tradition.
Quoi qu'il en soit, et peut-être encore pour un temps, chaque avocat dispose d’une case pour son courrier, au palais, avec un numéro que nous appelons… toque.
Parmi les bientôt 30 000 avocats parisiens que nous sommes, il n'y en a plus vraiment beaucoup qui portent encore ce petit chapeau.
La légende dit qu'il serait encore trois ou quatre ; personnellement, je n'en connais qu'un.
Son surnom bien évidemment n'a pas été trop difficile à trouver : le Toqué.
Cela ne s'invente pas, celui-ci s'appelle Pierre de France, et arbore toujours, sur son costume les insignes de l'officier parachutiste de réserve qu'il a été.
Il a une autre particularité, qui peut avoir une incidence sur la suite de ce récit, à savoir qu'il a une fâcheuse tendance à chuinté, c'est-à-dire à parler avec une voix nasillarde placée en haut du nez.
On rapporte, mais en fait il aurait été beaucoup plus simple que je l'interroge un jour sur cette histoire, qu'il aurait juré sur le lit de mort de son père, avocat, de respecter scrupuleusement tous les usages de la profession, et donc le port de la toque.
Une des difficultés majeures est que presque plus personne ne sait comment l'on porte cette toque, et quelles en sont les obligations.
Il faut pour cela se plonger dans des grimoires du siècle d'avant le siècle d'avant, pour tenter d’y comprendre quelque chose.
Cela n'est pas aussi simple, et sans entrer dans les détails, je crois me rappeler de ce que Pierre m'a dit, que l'on se couvre et que l’on se découvre, un peu à contre-courant de ce que la politesse coutumière devrait nous enseigner.
Ainsi, mais peut-être d'ailleurs est-ce le contraire, l'avocat se découvre lorsque le tribunal monte, comme on le dit chez nous, à savoir rentre dans la salle d'audience, mais ne doit pas le faire lorsqu'il plaide, n'oubliant pas de se découvrir immédiatement à la fin de la plaidoirie, ce qui d'ailleurs peut donner une indication sur la fin de celle-ci.
Il y a quelques années, Pierre de France devait plaider devant un tribunal de province, Carpentras je crois, une magnifique affaire de bornage, et de mur mitoyen qui portait, de ce fait, sur 3 francs 6 sous.
Le voyage en train fut d'autant plus agréable que Pierre partagea celui-ci avec un confrère, et pu ainsi lui narrer les anecdotes dont il n'est pas avare.
« Ben mon vieux, je ne sais pas si tu te rappelles de ce confrère que l'on croisait quasiment chaque jour au palais, ben figure-toi qu'il vient de casser sa pipe… »
Je vous assure qu'en prenant une voix nasillarde, le rendu est meilleur.
Mon Pierre descend donc du train, tout guilleret, il faut dire qu'il est toujours assez agréable de plaider en province, de rencontrer de nouveaux confrères, de nouveaux lieux, et d'autre façon de rendre la justice.
Il arrive au Tribunal, et comme il respecte tous les usages, il n'oublie pas d'aller se présenter au Bâtonnier local, se mettant ainsi sous son égide déontologique, et morale.
Le déjeuner, aux alentours du palais de justice, fut excellent et c’est le ventre rempli, et l'esprit clair, que Pierre de France se prépare à en découdre, et à faire triompher les intérêts de son client ; le muret de séparation des propriétés n'a qu'à bien se tenir, il vit ses dernières heures.
Il entre au Tribunal, et découvre la salle d'audience solennelle, et magnifiquement décorée, qui sera le théâtre de ses exploits, et de son éloquence.
Il ne manque pas une nouvelle fois de se présenter à tous les confrères « Pierre de France, Paris ».
Si, si, c'est beaucoup mieux avec une voix un peu nasillarde.
Il est 14h00, la salle, remplie de confrères et de quelques justiciables un peu intimidés, bruisse des dernières histoires du palais.
Un coup martelé assez fort sur la porte : « La Cour ».
Les bruits s'arrêtent immédiatement et, dans un seul mouvement, tout le monde se lève pour accueillir les magistrats.
Pierre de France, en première ligne, comme toujours, se place quasiment au garde-à- vous.
Le président procède à l'appel des affaires venant pour plaider ce jour et, comme c'est l'usage dans presque tous les tribunaux de France, sauf celui de Nice, il donne la priorité à l'avocat de l'extérieur, ce qui permet donc à Pierre de plaider en premier, sa magnifique affaire de bornage.
« Maître de France, vous avez la parole »
« Monsieur le président j’ai l’honneur, le privilège et l'avantage de me présenter devant vous pour la défense des intérêts des consorts… »
Si le lecteur a conservé un minimum d'intérêt, à ce stade, il ne lui aura pas échappé, qu’au moment de commencer sa plaidoirie, Pierre de France s'est donc couvert, plaçant sa toque sur son chef.
Ce geste, plus que le début ampoulé de sa plaidoirie, provoque immédiatement l'interruption de sa plaidoirie par le président de céans.
« Maître, j'exige que vous vous enleviez votre toque. »
« Monsieur le président, il n'est pas dans les usages séculaires du port de la toque, d'enlever celle-ci lorsque l’on plaide. »
« Maître, c'est un outrage, j'exige que vous vous découvriez, immédiatement »
« Monsieur le président je n'en ferai rien ce ne sont pas les usages de la profession. »
« Puisque c'est comme cela Maître de France, je renvoie votre dossier à deux mois afin que vous puissiez méditer sur le respect dû au Tribunal.
« Mais Monsieur le président… »
« Disposez maître et laisser nous traiter les affaires courantes. »
Tout dépité, mon Pierre se retrouve avec sa plaidoirie rentrée… le muret survivra encore quelques semaines.
« Ben mon vieux, le voyage de retour ne fut pas particulièrement gai »
Je n'insiste pas sur la voix… vous avez compris.
Quelques jours plus tard, mon ami Pierre reçût une lettre, curieuse, qui s'apparentait plus d'ailleurs à une invitation à la remise d'une médaille, bleue ou rouge, qu'à autre chose.
Dans l'enveloppe se trouvait un bristol ainsi rédigé.
« Maitre Pierre de France.
Le Tribunal de Carpentras entendra votre plaidoirie sur renvoi, le mercredi 12 Novembre à 18h00 précises. »
À l'heure de la communication électronique, de la quasi absence de relation, de ce fait, entre les avocats et les magistrats, cette convocation totalement inédite, en outre à une heure particulièrement inusuelle pour plaider, ne manqua pas de perturber notre ami avocat.
Toutes ses démarches auprès du greffe de Carpentras afin d'obtenir des informations complémentaires restèrent vaines.
Cette fois-ci, le voyage en train fut beaucoup moins agréable, et c'est avec une certaine boule au ventre que Pierre se dirigea vers le palais.
En cette époque, la nuit était déjà tombée et comme dans la plupart des villes de province, la foule ne se pressait pas dans les rues.
Tout ceci était peu engageant, et les études latines de Pierre, l'encourageait, comme un bon Romain devant tant de présages néfastes, à peut-être envisager… un repli stratégique.
Tout à coup cependant, dans ces ténèbres tristes, une lueur d'espoir apparue.
Au bout de la rue, ce fut d'abord une lumière diaphane puis, plus Pierre s'approchait, et plus cela ressemblait à un éclairage…étrange néanmoins…
L'escalier monumental du Tribunal était agrémenté, sur chaque volée de marches, d'une bougie qui donnait de ce fait, au bâtiment, un côté un tant soit peu suranné.
Pierre n’osait pas vraiment porter son regard plus haut, à tout le moins pas tout de suite.
Tout en haut des marches, l'ensemble des magistrats du ressort, le président aux milliers d’eux, un peu détaché en avant cependant, portaient leurs robes de cérémonie, leur chapeaux judiciaires que l'on n’appelle pas toques mais mortiers chez les magistrats, et enfin des gants blancs.
La montée de Pierre tout en haut de ses marches fut assez longue.
Il s'arrêta quelques marches en dessous du président.
« Maître de France, nous avons vérifié les ouvrages de référence, et nous tenions à vous présenter nos plus plates excuses quant à nos remarques de la précédente audience.
Vous vous êtes conformés scrupuleusement à vos règles déontologiques, et c'est pourquoi le Tribunal a décidé de vous recevoir, solennellement et en tenue d'apparat, afin d'écouter votre plaidoirie.
Nous aurons aussi le plaisir par la suite de vous recevoir à l'occasion d'un diner. »
L'histoire ne retiendra pas la plaidoirie de Pierre de France concernant ce problème majeur de voisinage, mais il remarquera néanmoins la joie et la fierté du plaideur.
« Ben mon vieux, je peux te dire que le mur y est passé… »
Si, si, je vous assure c'est beaucoup mieux avec cette petite voix nasillarde.