Je ne défile pas en robe d’Avocat dans la rue.
Notre robe d'avocat, c'est celle que nous recevons solennellement, lorsque nous prêtons serment au tout début de notre carrière.
Pour beaucoup, c'est aussi le vêtement qui les accompagnera dans le voyage vers l'au-delà.
On dit que ce linceul est le troisième que l'on détiendra, ce qui peut faire un peu peur aujourd'hui, non seulement avec l'allongement de l'espérance de vie, mais surtout aussi, avec la baisse de la qualité des tailleurs, car pour ma part je suis déjà dans celle-ci.
La robe d'avocat, nous la portons dans les prétoires de nos palais, parfois dans les salles des pas perdus pour certaines cérémonies de fortes anciennes traditions, et, à titre exceptionnel, sur les marches de nos Cours pour manifester notre désapprobation.
Cette robe, c'est notre armure, non seulement pour nous, mais aussi et surtout pour nos clients.
Si elle ne nous permet pas tout, elle nous autorise beaucoup.
C'est l'essence même de notre profession, elle permet que nous soyons passeurs de justice en étant de « l’huile dans le moteur », mais aussi, toujours, révoltés contre l'injustice, parfois : « du sable dans l'engrenage ».
Notre robe, mutatis mutandis, c'est celle de Robert Badinter plaidant contre la peine de mort, celle d'Éric Dupond-Moretti renversant le procès d’Outreau, c'est encore celle d’Henri Leclerc, arrachée, déchirée et profanée parce qu'il ne faisait que son devoir : Défendre.
Alors vraiment, comment imaginer que cette robe puisse fouler le pavé, témoin d'un corporatisme de nantis ?
Notre honorable profession, respectée, a tant donné à la nation de présidents de la république, mais aussi de parlementaires qui ont cependant, une fâcheuse tendance à oublier qu'avant d'être élus, ils étaient avocats.
Nantis, nous le sommes bien évidemment, de notre indépendance de notre liberté et de notre irrévérence… Pas plus …
Le salaire médian des avocats est inférieur à celui des cadres.
Néanmoins, du fait de ce que nous avons représenté dans l'histoire de notre pays, du fait de nôtre rôle irremplaçable dans l'équilibre de la société, nous sommes bien évidemment, une profession respectée que l'on entend.
Que l'on entend peut-être ; que l'on écoute de moins en moins.
On nous joue la concertation, on nous fait travailler jour et nuit dans l'urgence pour amender des projets de loi dont on ne changera pas une virgule, en un mot, on se moque de nous, et ce depuis de nombreux mois.
Je vous en ai entretenus à l'envi depuis quelques années, et comme je vous l'ai écrit je ne souhaitais pas être un Cassandre, mais néanmoins aujourd'hui, le tocsin résonne dans notre profession.
Nous avons un régime de retraite solidaire qui fonctionne, qui n'a pas besoin d'être réformé, et qui assure à tous nos confrères, quels que soient leurs parcours de vie professionnelle, soit une retraite honorable, soit une retraite en phase avec ce qui a été épargné, et tout cela géré par notre caisse, la Cnbf.
2 milliards de réserves à ce jour, qui doivent garantir le paiement des pensions pendant au moins 50 ans, et en même temps, au titre de la solidarité, depuis 1990, près de 2 milliards aussi, versés sans contrepartie à la grande compensation nationale, et donc aux autres professions.
Notre système marche, nous ne demandons rien à personne, et nous souhaitons simplement qu'on nous laisse tranquilles, pour ne pas dire autre chose.
Le rapport Delevoye a été présenté, et il est effarant.
Alors qu'aujourd'hui, nous cotisons à hauteur de 14 %, et bien moins pendant les cinq premières années de notre carrière, le projet de loi, prévoit que dans la fourchette de 0 à 40 000 € de résultat, soit dans notre revenu médian (43 000 €), nous cotiserons dorénavant à… 28 %...
Aucun avocat ne pourra le supporter, aucun jeune impétrant ne l'acceptera.
Au-delà de la paupérisation évidente de notre profession qui souffre d'ores et déjà de tant de grands maux, c'est l'avenir de celle-ci dont il s'agit.
Si cette aberration devait se produire, aucun jeune averti n’envisagerait plus de devenir avocat et notre profession, purement et simplement, et afin que nul n'en ignore : mourra !
Nous ne pouvons décemment accepter d'être fusionnés dans un système tellement mal raisonné, mal conçu et sans aucune étude d'impact.
Ce système n'existe nulle part en Europe, et aucun de nos voisins ne comprend ce qui se met en place.
Nous savons cependant et depuis longtemps, que la stricte égalité est souvent la pire des inégalités.
La perspective, c'est donc de laisser sur le bord de la route : nos jeunes confrères, nos consœurs dont la rémunération est déjà deux fois inférieure à celle de leurs homologues masculins, et ceux qui se dévouent pour la défense d'urgence, notamment au titre de l'aide juridictionnelle.
Nous ne le voulons pas, et nous le ferons savoir.
Nous nous battrons, sur chaque question avec les technicités qui nous appartiennent, et nous ne lâcherons rien.
Il en va de notre survie, nous n'avons pas le choix.
Alors oui, malgré tous mes principes, le 16 septembre 2019 avec plusieurs milliers de confrère, et à chaque fois que cela sera nécessaire, je serai dans la rue… En robe…