(N) Être Avocat
J’ai été fort perturbé, vous aussi sûrement, par l’annonce il y a quelques semaines du départ de la profession d’avocat, d’un de nos confrères et pas des moindres.
Après 26 ans d’ancienneté, ce n’est pas la maladie, l’absence de clients ou autres qui le poussent à quitter la profession mais bien la dégradation de la justice.
Si le barreau plus spécialisé dans le conseil en est peut-être épargné, il est évident que celui plus judiciaire ne peut qu’abonder, hélas, en ce sens.
Le constat est froid, nous sommes confrontés à un monde de justice qui ne nous écoute plus, nous les avocats.
Manque de moyens financiers : plus d’enveloppes, de timbres ou de papier pour imprimer et transmettre les décisions, manque de moyens humains : le même nombre de magistrats que sous le second empire, manque d’implication : combien de requêtes en rectification d’erreur matérielle ?
Pendant combien de temps allons-nous accepter ces dénis de justice, ces délais de procédure invraisemblables qui touchent tous les contentieux, avec un impact accru en matière familiale et en droit du travail ?
Un exemple de ce que nous rencontrons quotidiennement, dans la plus grande section encadrement d’un conseil des prud’hommes en France, en l’occurrence celle de Nanterre.
Vous le savez, la compétence de Nanterre c’est essentiellement celle d’un des premiers quartiers d’affaires européens : la Défense.
Un salarié cadre, licencié aujourd’hui en 2022, avec une procédure de licenciement qui tient à peu près la route, devra saisir au fond ce conseil des prud’hommes.
La première date de plaidoirie qui lui sera fixée après un bureau de conciliation au-delà des 12 mois de sa saisine sera en… 2026…
Imaginons que ce salarié soit parfaitement dans ses droits à contester un licenciement pour violation d’un droit fondamental par exemple, il n’obtiendra en 2026 qu’un premier jugement lui allouant des dommages-intérêts qui ne sont qu’excessivement rarement, en matière prud’homale, frappés de l’exécution provisoire.
Il devra donc saisir la cour d’appel de Versailles qui elle statue entre 24 et 36 mois.
Ainsi au mieux ce salarié, en espérant que durant toute la procédure il n’y ait ni incident ni renvoi, pourra peut voir réparer son préjudice ... en 2029 !
Combien de temps, dans le pays la Déclaration des Droits de l’Homme, allons-nous accepter ces injustices ?
Alors oui, vous pourrez me dire qu’il est possible de saisir le tribunal judiciaire à l’encontre de l’agent judiciaire de l’État pour voir stigmatiser ce délai abusif pour avoir accès à son juge, qui rappelons le, de par l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme est de… 6 mois…
Certes, cette procédure ira plus vite, mais comme nous le savons, le juge n’accordera qu’une réparation assez symbolique tant il répugne à condamner l’État, par lequel il est rémunéré et auquel il doit son avancement.
Alors peut-être allons-nous encore perdre quelques-uns de ces confrères de talent, ayant des dizaines d’années d’ancienneté et qui ne supportent plus : des prorogations de délibéré, des erreurs matérielles exponentielles, des multiplications forcées de dépôt des dossiers…
Naître avocat - être avocat - ne plus être avocat, quel avenir pour nos jeunes confrères rejoignant la profession ?
Cela ne doit pas être une fatalité, et nous devons nous battre pour que la profession reste attractive et se donne les moyens de conserver ses talents, qui sont nombreux.
Si nous devons nous mobiliser auprès des pouvoirs publics pour que la justice ne soit pas seulement perçue comme une administration, il faut également œuvrer auprès des tribunaux, restaurer le lien de confiance entre les avocats et les magistrats, le dialogue nécessaire à l’œuvre de justice dans l’intérêt de nos professions mais également et surtout, de nos clients.
En fait, notre quotidien professionnel, et nous le savons tous, c’est une oscillation permanente entre doutes et détermination.
Gardons nos doutes pour nous, même s’ils sont de plus en plus lourds à porter et faisons le pari de la détermination, celui de croire que l’on peut changer les choses et que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.
Vous le savez, car je vous écris depuis plusieurs années maintenant, c’est dans ce sens-là que je m’engage pour les élections du bâtonnat de Paris en juin 2023 avec Valérie Rosano.
Permettre aux confrères d’exercer librement, dignement, avec confiance pour que cesse l’envie de quitter la robe, développer nos activités et nos champs de compétences pour que le recours à l’avocat devienne une évidence pour nos concitoyens, au quotidien dans le conseil comme dans le contentieux.
En un mot : être avocat !
S’il y en a bien un, qui respirait les avocats, qui les comprenait tout en n’en étant pas un, c’était bien mon ami Fabien Waechter qui dirigeait Lexbase.
Quelques semaines après sa disparition à 48 ans, la blessure n’est pas refermée.
Ce fut une stupeur dans le monde professionnel judiciaire tant français qu’international, Fabien ne ménageant pas ses déplacements, notamment en Afrique.
Tous avaient une anecdote avec lui tellement, il était attentif à chacun et bienveillant comme le sont les amis précieux.
Des fous rires bien sûr, des discussions surréalistes en nombre, et surtout le bonheur de se retrouver autour d’une table.
J’ai cheminé avec Fabien, et avec tant d’autres, sur les glaciers de Chamonix à Zermatt grâce à l’association que nous avons créée au barreau de Paris.
Il y a à peine quelques mois, nous nous baignions dans l’eau à 4° du port de Tromso, au 71e parallèle après une randonnée dans les montagnes avoisinantes.
Fabien voulait toujours quitter le groupe avant la fin de nos séjours pour rejoindre le plus vite possible sa femme et ses enfants.
Encore une fois il est parti plus tôt - trop tôt.
Te voilà donc premier de cordée, mon ami.